Un recouvrement sauvé de la prescription : le jeu des mises en demeure dans les procédures fiscales

Publié le 6 Déc, 2022

Contraint par un avis à tiers détenteur pour un montant de 785.791,11 €, un héritier avait tout intérêt à tenter le coup de la prescription de l’action en recouvrement. Les règles du Livre des Procédures Fiscales (LPF) sur le recouvrement de l’impôt sont alors mises à l’épreuve du temps.

Un recouvrement par mise en demeure poursuivi inexorablement par l’administration fiscale

Les sommes réclamées avaient pour origine l’absence de règlement de cotisations d’impôts sur les revenus sur les années 2010 et 2011. 

Face à un tel montant, et vu l’ancienneté des faits générateurs, il peut se comprendre la désagréable surprise d’une action en recouvrement menée par l’administration fiscale. Celle-ci avait, semble-t-il, d’ailleurs tardé à réagir, n’envoyant une première mise en demeure que le 12 mai 2016 et la seconde le 15 mars 2021.

Bon à savoir : l’avis à tiers détenteur est l’acte par lequel l’administration fiscale se fait payer sa créance d’impôt par un tiers du redevable qui détient des sommes lui appartenant.

C’est devant le Tribunal administratif de Montreuil qu’est porté la contestation du recouvrement (12/07/2022 n° 2113524).

Le moyen mis en avant était celui de la prescription issue l’article L. 274 du LPF, soit « … quatre ans à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l’envoi du titre exécutoire… ». 

À noter : nous écarterons le débat sur la prolongation de deux ans dudit délai dans le cas où le redevable est établi dans un État non-membre de l’Union Européenne (al. 2 L. 274 LPF) qui, à notre avis, n’est pas fondamental dans cette décision.

Selon le requérant (l’héritier), le recouvrement n’aurait pas pu être réalisé puisqu’il interviendrait plus que le délai de quatre ans requis à compter de la parution du rôle.

En effet, le requérant conteste l’opposabilité de la mise en demeure du 12 mai 2016 qu’il n’aurait pas reçu et par suite la régularité de l’avis à tiers détenteur pour cause de prescription.

Bon à savoir : les rôles sont les titres exécutoires en vertu desquels les comptables publics effectuent et poursuivent le recouvrement des impôts directs et taxes assimilées. Ce sont des listes de contribuables passibles de l’impôt établies par l’administration fiscale qui comportent pour chaque contribuable son identification, la nature de l’impôt, les bases et les taux d’imposition, le montant à payer et le bénéficiaire. Les rôles sont rendus exécutoires par arrêté du directeur général des Finances publiques ou du préfet.

L’administration ne tarda pas à confronter le requérant à ses propres contradictions en apportant la preuve de la réception par lui-même de la mise en demeure. 

Le rapporteur public et le juge administratif ont de concert conclu au rejet de cet argument qui ne résistait donc pas à la démonstration sur pièce. Mais, il faut voir dans cette tentative de l’héritier (peut-être légitime pour cause d’oubli…) de faire échec avant tout à l’effet interruptif de la mise en demeure en la matière fiscale.

La première mise en demeure du recouvrement : l’interruption du délai de prescription

La mise en demeure de payer est un document de relance. Adressé par l’administration fiscale il exige le règlement d’un impôt. C’est surtout l’acte qui lui permet, après un certain délai, de poursuivre les redevables. Justement, la notification préalable d’une mise en demeure de payer doit obligatoirement précéder la notification du premier acte de poursuite.

C’est ainsi que la notification d’une mise en demeure de payer inaugure la phase du recouvrement forcé des impositions. Recevoir une mise en demeure de l’administration fiscale ne présage rien de bon. Si aucun règlement dans les temps ou demande de sursis de paiement n’est réalisé, alors les poursuites sont engagées.

Ce constat est d’autant plus frappant dès lors qu’est compris qu’en matière fiscale la mise en demeure de payer interrompt la prescription de l’action en recouvrement. L’article L. 257 du LPF qui pose ce principe très distinct des autres domaines du Droit.

Une fois la prescription interrompue, celle-ci repart pour un nouveau délai qui recommence à courir à compter de la date de l’acte interruptif, à la différence de la suspension qui ne fait que « mettre sur pause » l’écoulement du délai.

À noter : une mise en demeure notifiée à une adresse erronée n’interrompt pas la prescription.

C’est donc logiquement que le juge administratif n’a pu que donner raison à l’administration fiscale qui a soulevé ce moyen de procédure. La mise en demeure, régulièrement notifiée à l’héritier, a interrompu le délai et a refait courir le délai de quatre ans à compter de la mise en demeure.

La seconde mise en demeure du recouvrement : l’occasion manquée

En application de l’article R. 281-3-1 c. du LPF, la prescription d’une action en recouvrement ne saurait être invoquée qu’à l’encontre du premier acte de poursuite permettant de contester l’exigibilité de la somme réclamée. Cette réclamation doit être réalisée dans un délai de deux mois à partir de la notification et devant le « chef de service compétent ».

C’est ici que le requérant a véritablement failli. À défaut sûrement de ne pas avoir réagi suffisamment tôt. 

Le requérant a donc formulé sa demande de décharge de l’impôt sur l’avis à tiers détenteur pour cause de prescription alors qu’existait une mise en demeure la précédant.

Procéduralement c’était bien la seconde mise en demeure qui est premier acte de poursuite suivant la mise en demeure initiale. En ne portant pas le débat de la prescription sur la seconde mise en demeure et devant les services hiérarchiques de l’administration fiscale, l’héritier a tout simplement perdu la possibilité de s’en prévaloir définitivement.

À noter : il faut relever la curiosité que l’administration ait envoyé une seconde mise en demeure si tardivement après la première, jusqu’à risquer la mise en œuvre prescription, est sûrement dû à la règle du Code des procédures civiles d’exécution qui exige une seconde mise en demeure pour le recouvrement de créance si aucun acte de poursuite quel qu’il soit ou règlement partiel n’est intervenu dans le délai de deux ans qui suit le commandement ou la mise en demeure de payer.

Cette décision illustre l’importance d’être accompagné par un avocat expert en droit fiscal et en procédure fiscal. Seul un œil expert peut déceler les possibilités de contestation ouverte dans le cadre des recouvrement engagés par l’administration fiscale. Une procédure peut rapidement devenir défavorable si chaque acte de la procédure n’est pas sérieusement étudié.

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