Covid 19 et loyers professionnels : le salut viendra du dialogue (partie 3).

Publié le 15 Mai, 2020

L’analyse des mesures prises par le Gouvernement concernant les baux commerciaux et professionnels – Lire notre article Covid-19 et loyers professionnels : être ou ne pas être secourus par le Gouvernement (partie 1) – et des voies de droit commun – Lire notre article Covid 19 et loyers professionnels : quelle utilité à la force majeure et l’exception d’inexécution ? (partie 2) – démontre qu’il est essentiel de privilégier la discussion en cas de difficultés à régler son loyer du fait de la pandémie.

La meilleure approche reste la plus simple : se rapprocher de son bailleur pour appréhender ensemble les solutions qui pourraient être mises en œuvre dans le respect des intérêts de chacun.

Cette solution n’est néanmoins pas toujours envisageable, les relations locataire / bailleur pouvant être parfois compliquées.

L’efficacité de l’approche directe est également à géométrie variable, les bailleurs pouvant rester sourds aux demandes des locataires et eux-mêmes pouvant ne pas percevoir les conséquences de leur défaillance pour les bailleurs et exiger plus que de raison.

Comment dès lors amener raisonnablement son bailleur à envisager sérieusement la voie de l’arrangement à l’amiable ?

Renégocier sur le fondement de l’imprévision

La notion d’imprévision, intégrée en 2016 à droit constant à l’article 1195 du Code civil, s’avère particulièrement pertinente :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. 

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Le locataire qui souhaiterait se prévaloir de l’article 1195 sera tenu de justifier de deux élèments et de vérifier un troisième.

Le locataire devra d’abord justifier de l’existence d’un changement imprévisible lors de la conclusion du contrat

L’épidémie de Covid-19 bouleverse sans aucun doute les circonstances.

Faut-il encore que ce bouleversement ait été imprévisible au moment de la conclusion, du renouvellement ou de la révision du contrat. Cela ne sera par exemple pas le cas d’un contrat de bail conclu après la déclaration de l’état d’urgence.

Qu’en est-il néanmoins des contrats conclus alors même que l’épidémie était d’ores et déjà révélée au grand public ? Le bailleur pourrait refuser de négocier, la condition d’imprévisibilité n’étant pas nécessairement remplie. Dans une telle hypothèse, un contentieux se profilerait.

Le locataire devra ensuite justifier que l’exécution du contrat  est rendue excessivement onéreuse du fait de ce changement 

Il ne suffit donc pas au locataire de se prévaloir de la crise du Covid-19 pour engager une négociation sur le fondement de l’imprévision au sens du Code civil.

Un travail de fond doit être réalisé pour démontrer, le plus objectivement possible, que l’exécution du contrat – soit dans le cas d’un bail, le paiement du loyer – est excessivement onéreux.

Une approche comptable et financière, actuelle et prospective, sera privilégiée.

Là encore, le bailleur pourrait refuser de négocier, considérant que la condition d’onérosité excessive n’est pas remplie. Et là encore, un contentieux se profilerait.

Le locataire devra enfin vérifier qu’il n’avait pas accepté les risques

L’application de l’article 1195 du Code civil est soumise à la condition que le cocontractant n’ait pas assumé le risque de survenance d’un changement imprévisible pouvant entraîner une exécution excessivement onéreuse.

L’acceptation peut être expresse ou seulement implicite ; dès lors, seule une lecture experte du contrat peut permettre au locataire de s’assurer que cette condition est remplie.

En définitive quelle efficacité pour le levier de l’imprévision ?

Le bailleur peut être amené à refuser la négociation : l’interprétation de l’imprévisibilité et de ses conséquences – l’exécution excessivement onéreuse – est teinté d’une importante subjectivité.

Bien évidemment, un locataire qui aura pris soin de construire sa demande pour justifier au mieux des conditions légales pourra forcer la main du bailleur qui, s’il s’oppose de mauvaise foi à une rénogociation pourra engager sa responsabilité.

Il n’en demeure pas moins qu’en cas de refus ou d’échec des négociations les parties pourront convenir de la résolution du contrat (i.e. la fin du contrat) ou de saisir le juge pour qu’il apprécie l’opportunité de fixer de nouvelles conditions d’exécution ou de mettre fin au contrat.

La résolution du contrat peut tout de même représenter un couperet d’une extrême violence pour les locataires dont le bail constitue un élément déterminant de l’activité ou pour les bailleurs qui peineront très certainement à trouver un nouveau locataire dans le contexte actuel.

Attention !

L’article 1195 du Code civil ne s’applique que si le bail a été conclu ou renouvelé après le 1er octobre 2016. Pour les baux antérieurs à cette date, ou ceux qui ne comporteraient pas de clause spécifique à l’imprévision, il faudra miser sur la confiance mutuelle et la volonté de chaque partie d’envisager une poursuite équilibrée du contrat.

Renégocier sur le fondement de la bonne foi et de la loyauté dans les relations contractuelles

Martelée par la jurisprudence civile et commerciale dans les conflits contractuels, la notion de bonne foi dans le domaine contractuel a été inscrite et érigée en disposition d’ordre public en 2016 à l’article 1104 du Code civil qui impose que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »

Le bailleur sera de mauvaise foi s’il n’engage pas de renégociations loyales prenant en compte la situation du locataire ; le locataire sera de mauvaise foi dès qu’il s’affranchi du paiement du loyer ou de sa diminution sans l’accord préalable du bailleur.

Les circonstances de l’exécution du bail ayant été bouleversées, le locataire et le bailleur doivent se garder de comportements déloyaux et engager un dialogue pour retrouver l’équilibre entre les intérêts de chaque partie.

Les juges sont en effet attachés à l’esprit du contrat et leur pouvoir d’appréciation les autorise à sanctionner une partie qui respecterait scrupuleusement un contrat sans pour autant se soucier des intérêts et des droits du cocontractant.

Nous pouvons raisonnablement affirmer qu’en cette période, l’absence de communication ou la volonté de ne pas prendre en compte le déséquilibre créé sera un élément de fait auquel les juges seront attentifs.

En cas de difficultés véritables et constatées, la renégociation devrait être une étape indispensable dans la poursuite du bail commercial ou professionnel.

D’autant que le bailleur et le locataire doivent dès à présent se projeter sur le long terme.

La crise économique en perspective et les conséquences sur les critères de commercialité du local en tête, locataire et bailleur devront envisager la baisse du loyer et des charges prévisibles avec l’objectif de réaligner les conditions du bail à la réalité économique.

Les bailleurs ont tout intérêt à s’inscrire dans cette démarche et à renégocier leurs baux avec cette réflexion précise sur l’avenir commercial de leurs locaux.

Au contraire ils n’auraient que peu d’intérêt de s’engager dans une démarche contentieuse avec pour objectif de résilier le contrat pour placer un nouveau locataire : d’une part les bailleurs ne sont pas garantis de trouver un autre locataire, les velléités d’entreprenariat ayant été également atteintes par le coronavirus et d’autre part les bailleurs qui ne seraient pas conciliants pourraient se voir limités dans leurs actions de recouvrement de loyers ou de résiliation.

Renégocier en érigeant le spectre des procédures collectives

Une entreprise en difficulté peut solliciter l’ouverture d’une procédure collective, qu’il s’agisse d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.

L’ouverture de la procédure entraîne le gel des dettes antérieures à l’ouverture. Exception faite de la sauvegarde, les bailleurs ne profitent d’aucun privilège concernant leurs créances de loyers antérieurs. Ils sont donc considérés comme créanciers chirographaires avec toutes les incertitudes que cela comporte.

Les procédures sont également suspendues à plusieurs conditions toutes consommatrices de temps et d’énergie.

Le locataire réellement en difficulté pourrait donc utiliser le levier des procédures collectives pour renégocier le contrat de bail et le bailleur serait alors tenu de considérer les conséquences de celles-ci avant de refuser d’engager des discussions.

En définitive

Avec une suspension, un échelonnement, une interruption voire une baisse des loyers, le bailleur participe activement et positivement à maintenir son locataire en capacité de rebondir et donner les moyens de la survie du bail.

En cas de refus du bailleur de renégocier, certains leviers permettent de l’amener à de plus justes considérations.

Quoi qu’il en soit, le bailleur et le locataire doivent privilégier l’écrit pour matérialiser leurs intentions, conserver une trace des négociations intervenues et prendre acte de leurs éventuels accords. La rédaction d’un avenant doit tout aussi être privilégiée pour décrire les circonstances qui ont amené à modifier et figer de nouvelles conditions.

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